EDITO OUEST FRANCE DU 21 SEPTEMBRE – Le retour du « Travail bien fait »

LE RETOUR DU « TRAVAIL BIEN FAIT »

A l’heure du retour au travail après les congés d’été, c’est aussi le retour du travail, longtemps occulté par la question de l’emploi. Comme si la qualité de l’activité était passée au second plan. Pourtant, les attentes des salariés démontrent une forte valorisation du travail et un réel attachement à son contenu et son mode d’exercice, jugés insatisfaisants. D’où la montée de l’absentéisme, pour part explicable par le sentiment minant de mal faire son travail.

60% des salariés éprouvent un sentiment « d’Activité empêchée » et une frustration à hauteur de leur implication personnelle croissante dans une activité jugée à l’aune de son utilité, bien sûr, mais aussi de sa « beauté ». Impossible, disent-ils, de continuer à travailler dans des conditions qui ruinent le plaisir de travailler et l’estime de soi. On avait fini par oublier la dimension esthétique du travail, dont l’observation la plus élémentaire révèle toute l’importance.

La sociologue Danièle Linhart rapporte dans Travailler sans les autres (Seuil,2009) une expérience très instructive. Visitant, un jour, un abattoir, elle va découvrir à sa grande surprise qu’à la boyauderie, les femmes jettent systématiquement à la poubelle tout ce qui a été entamé par les hommes, sous les yeux de leur agent de maîtrise médusé. Et cela parce qu’elles ne jugent pas le travail correctement accompli.

« Ces petits groupes de femmes s’étaient investies dans leur travail et étaient parvenues à donner de la valeur, de la beauté, à une activité déconsidérée et, à première vue, plutôt répugnante » consistant à laver et trier les abats de porc. Elles avaient, dans leur univers de contraintes humiliantes, construit collectivement quelque chose qui donnait de la grandeur à ce qu’elles faisaient mais aussi de l’utilité.

UN GRAND RISQUE PSYCHOSOCIAL
Ce cas illustre parfaitement tout le non-dit, le surcroît de valeurs implicites du travail salarié, la part de liberté qu’ils s’arrogent et qui permet d’établir entre eux et avec la société des relations conformes au principe de dignité. Cette dimension de l’activité est aujourd’hui en souffrance avec un impact négatif sur le vécu du travail de nombreux salariés stressés, déprimés, victimes de burn-out et de bore out (ennui profond).

Ainsi de ces vendeurs d’une grande surface de bricolage affligés de la médiocre qualité des produits vendus. Ainsi de ces salariés d’un service de gériatrie qui déplorent, en choeur, la dégradation de leur métier et de leur secteur d’activité. En un mot, ils ne sont pas fiers du travail réalisé […]. Beaucoup disent aussi avoir honte de la manière dont on traite les personnes âgées.

Un infirmier en manque de moyens et de formation confie :  » Ma conscience professionnelle en a terriblement souffert. Au point que j’ai préféré démissionner ». Ou bien encore d’un commis de cuisine dont le rêve est « d’arrêter toutes ces conneries de rentabilité, de tomates blindées d’insecticides, de travail à la chaîne ». Un phénomène à ce point global qu’on pourrait voir dans ce déni des exigences d’un travail soigné le principal risque psychosocial de notre période.

Puisqu’il est justement question de « refonder l’entreprise » pourquoi ne pas y introduire une stratégie incluant centralement l’urgence d’un travail soigné en suivant la suggestion de Matthew Crawford dans son Eloge du carburateur (La découverte) : « Tout travail pourrait devenir une forme d’art s’il était exécuté dans un esprit adéquat. » Au travail! Tout le monde y gagnera !

 

POINT DE VUE PAR JACQUES LE GOFF – ARTICLE DU 21 SEPTEMBRE 2018